Saisie par le Conseil d’Etat, la CJUE défend la mobilité des professionnels de santé
Le 7 septembre 2005, la Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles a été adoptée.
Elle a mis en place un régime de reconnaissance des qualifications professionnelles dans l’Union européenne (UE), qui s’étend également, moyennant certaines adaptations, aux autres pays de l’Espace économique européen (EEE) et de l’Association européenne de libre-échange (AELE), ainsi qu’à la Suisse.
La directive prévoit trois régimes de reconnaissance des qualifications, dont la reconnaissance automatique. Cette dernière concerne les professions dont les conditions minimales de formation sont harmonisées, dans une certaine mesure, au niveau européen, à savoir les professions :
- de médecin
- d’infirmier responsable de soins généraux
- de praticien de l’art dentaire
- de vétérinaire
- de sage-femme
- de pharmacien.
Afin d’appliquer cette directive en France, le gouvernement a publié en 2017 un décret autorisant l’accès partiel aux professions de santé pour les praticiens de toute l’Union européenne.
Mais, la rédaction de ce décret a été très critiquée par les professionnels de santé. Ils considéraient que la transposition en droit interne allait bien au-delà de la directive européenne. Cet accès partiel aux professions réglementées allait ouvrir selon eux une autoroute à d’autres professionnels beaucoup moins qualifiés. Ce qui était redouté, c’est que les critères d’accueil des praticiens européens deviennent beaucoup plus souples.
Les Chirurgiens-Dentistes de France, aux côtés d’autres organisations professionnelles*, ont donc déposé un recours devant le Conseil d'Etat pour demander l'annulation de ce décret.
Ils ont basé leur argumentation sur le fait que, dès lors que la formation de plusieurs professions a fait l’objet d’une coordination entre les États membres, et que les diplômes sanctionnant ces formations font l’objet d’une reconnaissance automatique entre États, il n’y a pas lieu, pour ces professions, d’introduire un accès partiel.
Professionnels ou professions
Le Conseil d’Etat a alors décidé de renvoyer la question à la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Le 25 février dernier, cette dernière a validé le contenu du décret.
La Cour de justice de l’Union européenne opère une distinction entre « professions » et « professionnels ».
Les professionnels qui bénéficient de la reconnaissance automatique de leurs qualifications professionnelles sont exclus de l’accès partiel. Ils ont donc accès à la totalité des activités couvertes par la profession correspondante dans l’État membre d’accueil.
Ce dispositif repose sur la reconnaissance des titres de formation fondée sur la coordination des conditions minimales de formation. En revanche, il en va différemment pour les « professions ».
Refus d’accès partiel possible pour les professions
La Cour rappelle qu’en cas de raisons impérieuses d’intérêt général, un État membre devrait être en mesure de refuser l’accès partiel, en particulier pour les professions de santé, si elles ont des implications en matière de santé publique ou de sécurité des patients.
La Cour indique que s’il est possible de refuser l’accès partiel aux dites professions, cela suppose que, en principe, l’accès partiel à celles-ci n’est pas exclu.
Ainsi, La Cour en conclut que la directive ne s’oppose pas à une législation admettant la possibilité d’un accès partiel à l’une des professions relevant du mécanisme de la reconnaissance automatique des qualifications professionnelles prévu par cette directive.
Des formations non équivalentes
Pour l’Europe, l’accès partiel vise à favoriser la libre circulation des personnes et des services.
L’accès partiel répond à un vrai besoin du professionnel dans certains cas :
- Lorsque dans l'État membre d'accueil, les activités concernées relèvent d'une profession dont le champ d'activité est plus grand que dans l'État membre d'origine,
- et que les différences entre les domaines d'activité sont si grandes qu'il est nécessaire d'exiger du professionnel qu'il suive un programme complet d'enseignement et de formation pour pallier ses lacunes.
Autrement dit, l’interdiction d'accès partiel constituerait un frein à la mobilité pour bon nombre de professionnels de santé qualifiés dans un État membre pour y exercer certaines activités relevant d'une des dites professions, mais ne correspondant pas, dans l'État membre d'accueil, à une profession existante.
Au terme de son arrêt, la Cour indique que « la directive ne s’oppose pas à une législation admettant la possibilité d’un accès partiel à l’une des professions relevant du mécanisme de la reconnaissance automatique des qualifications professionnelles. »
*L’association Les Chirurgiens-Dentistes de France, la Confédération des syndicats médicaux français, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, le Syndicat des biologistes, le Syndicat des laboratoires de biologie clinique, le Syndicat des médecins libéraux et l’Union dentaire, ainsi que le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes, le Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes et le Conseil national de l’ordre des infirmiers