: En effet. Nous avons contacté la Défenseure des droits pour qu’elle nous aide à obtenir des données chiffrées sur l’état des lieux des discriminations faites aux femmes dans le milieu médical. Ensuite, Jeunes Médecins a contacté l’Ordre des médecins, les services de la Défenseure ont contacté la Direction Générale de la Santé, pour qu’ils nous aident à diffuser notre questionnaire auprès de tous les médecins qui sont dans leurs fichiers. Nous espérons pouvoir le faire d’ici l’été.
: En 2016, j’avais pris un poste universitaire après l’internat en tant que Chef de Clinique. Tout se passait très bien, à tel point qu’au bout de deux mois, la cheffe du service me convoque pour me proposer un poste de praticien hospitalier, ce qui est assez rare dans les services spécialisés des CHU parisiens. J’étais très contente. Jusqu’à ce que j’entende la condition posée : « tu ne dois pas faire d’enfant pendant les deux ans de la durée de ton contrat ». Ce qui m’apparaît avec le recul très particulier, c’est que, sur le moment, ça ne m’a même pas choqué. Je n’avais pas de projet de bébé immédiat et toutes mes amies et consoeurs m’encourageaient à accepter. Mais en y réfléchissant, le principe, cette forme de chantage, m’a vraiment dérangé. Je lui ai donc répondu que le poste m’intéressait beaucoup mais que je n’acceptais pas qu’elle m’impose quand je devais avoir ou ne pas avoir un enfant. Deux semaines plus tard, j’étais rayée du service.
: J’ai quitté Paris. Le monde médical est un milieu qui fonctionne par cooptation et sans le soutien de ma cheffe de service... Mon compagnon et moi avons donc pris la décision de nous installer dans le Sud de la France.
: Oui, et cette fois, je suis tombée enceinte et me suis retrouvée confrontée à la réalité du monde hospitalier pour les femmes médecins qui veulent aussi être mères. Quand j’ai repris le travail après mon congé maternité, on ne m’a pas dit bonjour, on ne m’a même pas demandé comment allait mon bébé. Les gens étaient fâchés. On me l’a dit texto en réunion : « pendant que tu étais « en vacances », nous, on a travaillé, maintenant il faut que tu rattrapes les gardes que tu n’as pas faites ». Je me suis retrouvée à faire trois fois plus de gardes que les autres dès mon retour de congé maternité. J’ai fini par démissionner et opter pour l’exercice libéral.
: Tout à fait. Être dans l’action permet de ne pas subir. J’ai essayé de trouver une façon intelligente de faire changer les choses. Après ma démission, j’ai voulu écrire une tribune pour dire à quel point j’étais révoltée par ces injustices. Je voulais illustrer mon propos avec d’autres témoignages, parce que je savais que je n’étais pas la seule à avoir vécu une telle expérience. J’ai contacté Jeunes Médecins où j’étais déjà adhérente. Ils m’ont tout de suite répondu qu’ils seraient à mes côtés, ce qui a conduit à la publication d’une tribune dans le journal Le Monde, cosignée par 300 personnes. Ça a fait du bruit à l’époque et nous avons été reçus, en 2020, par le Ministère de l’Enseignement supérieur, qui a écouté nos propositions. Pour l’heure, elles sont toujours lettres mortes.
: Malheureusement non. C’est encore bien ancré dans les mentalités que les femmes doivent éviter de faire des enfants à certaines périodes de leur carrière. Il n’est pas normal qu’elles s’absentent. Il y a plusieurs choses qui contribuent au problème. L’une d’entre elles, c’est le grand manque de sororité, une chose que nous avions souligné auprès du ministère. Il y a rarement du soutien entre les femmes dans un monde qui reste encore très marqué par les règes du patriarcat, et ce malgré la féminisation de la profession. Le principe est toujours bien réel : l’équipe de l’hôpital doit passer avant la vie personnelle. J’espère que notre enquête contribuera à faire bouger les lignes.
Propos recueillis par François Petty
Crédit photo : Gabriel Gorgi