DV Jacques Guérin : La genèse du dossier de la financiarisation pour la profession vétérinaire remonte à 2018, date des premiers contacts avec les groupes d’investisseurs financiers.
Très factuellement, les mises en demeure, étape initiale de la procédure administrative, ont débuté courant de l’année 2019. Les décisions de radiation administrative de 172 sociétés d’exercice vétérinaire, prononcées par l’Ordre, ont fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État. L’épilogue de ce contentieux de masse est intervenu le 10 juillet 2023 par quatre décisions de portée générale. La rédaction d’une doctrine d’emploi à visée pédagogique, sous l’égide du ministère en charge de l’Agriculture, s’en est suivie.
DV Jacques Guérin : Elle dit deux choses. En premier lieu, le Conseil d’État a considéré que les arguments de l’Ordre des vétérinaires tendant à qualifier les tiers financiers investisseurs de capitaux indésirables ne pouvant entrer au capital des sociétés d’exercice vétérinaire, n’étaient pas suffisamment démontrés. Le Conseil d’État n’a pas retenu que les filiales d’un même groupe, par leurs détentions directes et indirectes, pouvaient avoir par principe des conflits d’intérêts prohibés.
En deuxième lieu, le Conseil d’État a validé l’analyse de l’Ordre basée sur des faisceaux d’indices, tendant à démontrer que les vétérinaires associés étaient privés du contrôle effectif de leurs sociétés parce que certaines dispositions fixées par la loi qui donne la majorité de vote et de détention aux vétérinaires en exercice au sein de ces sociétés étaient en réalité contournées, en l’espèce par exemple certains droits de vote n’étaient pas libres. In fine le contrôle effectif des sociétés vétérinaires n’était plus dans les mains des vétérinaires en exercice.
DV Jacques Guérin : Désormais, l’Ordre s’attache à analyser s’il existe des écarts entre ce qui est déclaré par les statuts, les pactes d’associés, les règlements intérieurs ou des conventions extra-statutaires et la réalité de la pratique vétérinaire dans les établissements de soins exploités par ces sociétés. C’est l’objet de toute notre attention. Par ailleurs, des travaux sont en cours à travers différents rapports conduits par le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux. Je crois aussi savoir que l’autorité de la concurrence s’est saisie du dossier. L’Ordre des vétérinaires demande à être aidé dans sa mission de contrôle par les services de l’État.
DV Jacques Guérin : Le récent rapport sénatorial* sur l’analyse de la financiarisation du secteur de la santé est tout à fait applicable à la profession vétérinaire. Les mêmes mécanismes, le même fonctionnement et le même risque sur l’augmentation du coût d’accès aux soins, ne peuvent qu’être constatés.
DV Jacques Guérin : Indéniablement ! Dès lors que les professions réglementées parlent d’une seule voix, elles représentent un poids important. Cette problématique de la financiarisation est entrée par le biais de la santé humaine, notamment la biologie, et aujourd’hui, la radiologie, ou les centres dentaires. Se pose aussi, a priori, par des mécanismes différents, la question du secteur de la pharmacie d’officine.
Bon an mal an, en juillet dernier, quelques professions, comme les géomètres-experts par exemple, n’étaient pas encore concernées. Mais en six mois, les appréciations ont changé. Toutes les professions réglementées le sont, de près ou de loin.
DV Jacques Guérin : Le premier qui fait l’unanimité, c’est donc la question de la financiarisation. Ensuite, nous avons une salve de sujets qui vont dans le même sens. À savoir l’accès des citoyens à un professionnel qualifié, tout en garantissant des conditions d’un exercice serein et sécurisé donc la protection des professionnels. L’enjeu renvoie aux questions de démographie et d’aménagement du territoire, pour parvenir à une présence homogène des professions réglementées au sein de ces territoires et à la capacité pour chaque citoyen de pouvoir consulter un professionnel de santé, du droit, ou du cadre vie. Et bien sûr, nous réfléchissons aux conditions du bon usage de l’intelligence artificielle, sujet de pleine actualité dont il convient de définir le cadre pour que cette intelligence artificielle s’exprime, dans l’intérêt de tous, positivement.
* https://www.senat.fr/rap/r23-776/r23-7761.pdf
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