On peut partir de l’époque de l’intervention durant la guerre du Biafra au Nigeria, dans la seconde moitié des années 60, même s’il ne s’agit pas véritablement de la naissance de MSF, mais de son accouchement. C’est de ce groupe de médecins qui ont participé au mouvement de la Croix-Rouge au sens large dans des actions humanitaires que va naître MSF. Les moyens d’intervention étaient très limités à l’époque pour venir en aide à des populations qui étaient dans un état déplorable. Mais la Croix-Rouge s’interdisait de communiquer sur les conflits dans les territoires où elle intervenait, au nom du principe de neutralité. Beaucoup de médecins ont alors décidé de dire que faire de la médecine, c’était évidemment une bonne chose mais que cela ne suffisait pas et qu’il fallait également alerter les opinions publiques sur les événements et les exactions commises sur place. Ce qui a conduit à la naissance de MSF.
Oui, elle concerne les années 70-80 avec la professionnalisation de MSF qui jusqu’à cette date envoyait des volontaires sur le terrain avec très peu de moyens et donc un impact sanitaire assez limité. Ce qui, en schématisant, a conduit au schisme au sein de MSF et la création de Médecins du Monde, entre Bernard Kouchner et Claude Malhuret. Ce dernier disant : « il faut qu’on fasse de la médecine sérieusement, donc avec du personnel formé et des médicaments : on doit se professionnaliser ». L’autre groupe disant : « pas du tout, notre premier rôle c’est de témoigner et de sensibiliser les opinions publiques ». Je caricature bien sûr.
A ce moment-là, on commence à avoir suffisamment d’argent à MSF pour mener les actions pour intervenir dans des camps de réfugiés : pour l’approvisionnement en eau, pour monter un petit hôpital sur place, avec des médicaments et de l’équipement. Tout cela coûte cher. Pendant 20 ans, nous développons des capacités de collecte de fonds auprès des États et parallèlement on développe aussi la collecte de fonds auprès des particuliers. Ce sont aujourd’hui eux qui nous financent, puisque nous avons arrêté de prendre de l’argent auprès des États pour des questions d’indépendance politique. Aujourd’hui, nous sommes financés à plus de 95% par des donateurs privés.
En 1985 en Éthiopie et au Rwanda en 1994, où nous sommes intervenus pour porter secours. Mais en l’occurrence ce sont des situations qui clairement dépassaient la seule aide humanitaire, qui au mieux est dérisoire et au pire toxique puisque les autorités du pays profitent du fait que les populations viennent se faire soigner pour les faire ensuite grimper dans un bus et les délocaliser. En Éthiopie cela a été un vrai choc pour notre association puisqu’on s’est rendu compte que l’action humanitaire pouvait parfois tuer. Les bonnes intentions et l’action médicale ne suffisent pas. Au Rwanda, nous n’avons n’a pas été manipulés mais on a soigné des gens qui étaient ensuite promis au massacre.
La première chose, c’est que l’action humanitaire s’inscrit toujours dans un contexte politique, parfois extrêmement violent et que l’on doit s’assurer qu’on ne participe pas au problème. Ce qui est la moindre des choses et obéit à un principe bien connu en médecine : « en premier lieu, ne pas nuire ». La seconde, c’est que pour secourir les populations, il faut obtenir l’accès, et ce dernier est dans les mains des autorités publiques ou civiles locales. D’où la nécessité pour nous de pouvoir négocier avec les parties sur place, au nom de la neutralité et de l’impartialité qui ne sont pas des principes énoncés comme ça en l’air mais qui sont des outils qui nous permettent d’obtenir l’accord des différents groupes, même quand ils sont en conflit armé.
Cette question de la sécurité des humanitaires est très difficile à évaluer. Nous étions très peu dans les années 70. A partir des années 90, beaucoup d’ONG se sont développées, en France, mais aussi à l’international. Donc l’exposition au danger du personnel humanitaire est beaucoup plus large.
En effet, mais la réponse est simple. Nous sommes financés par la générosité du public, c’est-à-dire par gens qui nous disent : « voici un chèque, on vous fait confiance pour le dépenser là où ce sera nécessaire ». La seule chose, c’est qu’il y a parfois des crises d’une telle ampleur qu’elles sont très relayées médiatiquement et génèrent un élan de solidarité immense, comme cela a été le cas avec le Tsunami de 2004 ou le tremblement de terre d’Haïti en 2010. Mais après quelques jours, nos équipes sur le terrain nous avaient dit : « Voilà ce qui est utile sur place et ce que cela va coûter. Au-delà, les sommes ne pourront être affectées à ces catastrophes précises ». C’est ce que nous avons relayé à nos donateurs en les contactant : « en quelques jours, vous nous avez déjà donné suffisamment pour mener les actions de secours nécessaires. Arrêtez-de nous donner pour le Tsunami. Vous pouvez reprendre ces dons ou accepter qu’ils financent les actions dans d’autres missions qui sont moins médiatiques ». C’était le sens du message, la moindre des choses étant de prévenir les donateurs, c’est une question éthique.
*Pour faire un don et/ou intervenir comme bénévole : www.msf.fr
Propos recueillis par François Petty
Crédit photo : © Remi Decoster/ MSF